ANR - MuViScreen - Représentations musico-sonores de la violence à l’écran. Résonances Hollywood/Europe (1970-2000)

START:
1 janvier 2024
DURATION:
en cours

INSTRUCTORS:

Guido Laurent
PR Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire

Si la violence se manifeste quotidiennement sur les écrans à l’ère du numérique et d’internet, sa présence médiatique s’est en réalité affirmée depuis cinquante ans. Ce phénomène entre en résonance avec les fictions audiovisuelles qui sont un vecteur privilégié de représentations socio-culturelles. Dans ce contexte, la musique et le son s’apparentent à des catalyseurs émotionnels qui ont participé à accentuer ou au contraire à nuancer la monstration de la violence selon une pluralité de codes. À partir de la fin années 1960, les modes de figuration cinématographiques de la violence se transforment profondément. En 1968, un système de classification des œuvres se substitue ainsi au Code Hays en vigueur à Hollywood. La place accordée à la violence, qui se manifeste alors sur les écrans d’une manière plus explicite – on commence à parler « d’ultraviolence » – devient dans le dernier quart du 20e siècle un sujet complexe dont la compréhension varie dès lors en fonction de perspectives distinctes les unes des autres. L’image de l’agression physique a pu ainsi être interprétée aussi bien comme le signe d’une exploitation outrancière et racoleuse ; comme un geste radical, provocateur et transgressif ; comme le nécessaire dévoilement d’une sordide réalité ; comme un spectacle aux vertus cathartiques ; ou même comme un simple motif d’ordre esthétique ou symbolique, emblématique du style « post-moderne » alors en vogue. Les trois décennies envisagées sont par ailleurs caractérisées par des évolutions technologiques majeures de l’avènement du dolby jusqu’aux infrabasses de plus en plus immersives en passant par les techniques de bruitage, la généralisation du numérique dans les années 1990 et par la standardisation des drones, générateurs de tension au début des années 2000.

Cette question est au centre du projet ANR Muviscreen 2024-2027, « Représentations musico-sonores de la violence à l’écran. Résonances Hollywood/Europe (1970-2000) », qui associe des musicologues et des spécialistes de cinéma des universités de Rouen, Sorbonne Nouvelle et Lyon 2. Son objectif est d’identifier des topoï dans l’accompagnement musico-sonore (musique, bruit, voix, design sonore) de la violence à l’écran à travers trois axes majeurs : exacerbation, distanciation et intériorisation. Cet apport typologique inédit permet de conceptualiser des éléments qui n’ont pas été encore étudiés. Les différentes spécialités des partenaires permettront une analyse nouvelle d’un corpus de cinéma encore très peu étudié sous l’angle sonore. Le travail sur les techniques du son au cinéma et les analyses poussées des éléments musico-sonores déboucheront sur de nouvelles théories permettant de comprendre comment la violence fonctionne dans les films.

En mobilisant des approches historiques, esthétiques, analytiques et techniques, on éprouvera ces trois positionnements narratifs musico-filmiques, dont on n’exclut pas la porosité ni les entrelacs des différents registres, évoluent dans des proportions diverses tout au long de la période étudiée, en fonction de nombreux paramètres : le contexte socio-politique, la technologie, les courants dominants, les genres cinématographiques, les générations de réalisateurs et de compositeurs, ou encore l’émergence de nouveaux styles musicaux. Dans une démarche comparative, on examinera un corpus s’inscrivant dans une circulation Hollywood/Europe et comprenant autant des exemples emblématiques que des films moins analysés.

Il s’agira de contribuer à l’établissement d’une typologie des figures musico-filmiques de la violence au cinéma en se fondant sur l’identification des langages ciné-musicologiques, comme sur celle des stratégies compositionnelles. Ce colloque vise par ailleurs à mettre l’accent sur des questions liées à l’histoire culturelle des rapports entre musique et cinéma. Il se concentrera sur la manière dont la violence peut découler au cinéma de la présence d’une musique préexistante. Que les reprises de morceaux soient diégétiques ou non, leur mise en rapport avec la brutalité des situations représentées à l’écran provoque des effets qui oscillent entre les trois grandes modalités étudiées dans le projet. Nombre de séquences restées emblématiques pour leur caractère à la fois dérangeant et agressif accordent un rôle crucial à des œuvres de répertoire (classique, pop, rock…). La représentation d’une écoute « appareillée » (radio, disque) y pointe l’importance des techniques dans l’imaginaire contemporain de la violence.

À travers l’analyse de la musique originale comme de la reprise de morceaux préexistants, les trois axes principaux exacerbation, distanciation, intériorisation, constitueront les pistes à privilégier.

En premier lieu, l’exacerbation consiste à accentuer, à des degrés divers, la violence montrée à l’écran par des figures musicales et sonores brutales, dans un geste spectaculaire d’amplification. Dans ce cas, la musique peut aussi jouer le rôle d’effet d’annonce ou encore relayer ce que l’image ne montre pas. L’atonalité, la musique électro-acoustique et électronique, le psychédélisme, le rock progressif, ont favorisé l’émergence de nouveaux styles de bandes originales telles La Horse (P. Granier-Deferre, 1970), Le Serpent (H. Verneuil, 1972), Les Noces rouges (C. Chabrol, 1973), Massacre à la tronçonneuse (T. Hooper, 1974), Peur sur la ville (H. Verneuil, 1975), Suspiria (D. Argento, 1977), Halloween (J. Carpenter, 1978), Tesis (Amenabar, 1996), Funny Games (M. Haneke, 1997).

La musique peut ensuite être employée au cinéma dans le but d’instaurer un phénomène de distanciation, suggérant une posture réflexive de la part du spectateur. De l’ironie au contre-emploi de nombreuses séquences – pouvant inclure une intertextualité comme mise en abîme référencée ou parodique – sont fondées sur ce mécanisme : les traques sans merci d’un tueur à gage dans La Cité de la violence (S. Sollima, 1970), la chambre froide dans laquelle s’alignent des cadavres dans Cinque bambole per la luna d’agosto (M. Bava, 1970), le viol dans Orange mécanique (S. Kubrick, 1971), l’attaque en hélicoptère dans Apocalypse Now (F.F. Coppola, 1979), la torture dans Reservoir Dogs (Q. Tarantino, 1992), le meurtrier masqué au début de Scream (W. Craven, 1996), les effets de la drogue à la fin de Requiem for a dream (D. Aronofsky, 2000), le début, antéchronologique, du film Irréversible (Noé, 2002).

En se focalisant sur un personnage lors d’une scène violente, la musique et/ou le design sonore produisent enfin un effet d’intériorisation qui fait basculer le film dans une dimension subjective et psychologique. Notre perception se trouve alors orientée vers une réalité alternative, reliant la violence – frontale ou atténuée – à la sphère intime (et ce, que l’on soit du point de vue du bourreau ou de la victime). Ce principe s’exprime dans plusieurs scènes de Marathon Man (J. Schlesinger, 1976), Scarface (B. De Palma, 1983), Léon (L. Besson, 1994), La Ligne rouge (T. Malick, 1998), Fight Club (D. Fincher, 1999), Dancer in the Dark (Lars Von Trier, 2000), Trouble Every Day (C. Denis, 2001), Darkness (J. Balagueró, 2002).

 

Activités de recherche

Pour répondre aux objectifs de recherche, trois colloques seront organisés en binômes par les quatre partenaires porteurs du projet, s’inscrivant dans une logique de complémentarité :

  • Musique et violence dans le cinéma européen : effets, topiques et intertextualité (1970-2000) – Université Sorbonne Nouvelle, IRCAV (Carayol, Guido), 7-9 novembre 2024.
  • « Musique et violence au cinéma, à l’épreuve des genres » – Université Rouen Normandie, CÉRÉdI (Barnier, Carayol, Guido, Rossi), juillet 2025.
  • « Son et violence au cinéma : articulations technologiques » – Université Lumière Lyon 2, Passages XX-XXI, (Barnier, Huvet et Rossi), mars 2026.

Ces colloques seront accompagnés d’un carnet de recherche en ligne (comptes rendus de colloque, vidéos d’entretiens, fonds d’archives) et donneront lieu à plusieurs publications en français et en anglais. Par ailleurs, trois missions à l’étranger viendront compléter ces trois colloques : une mission patrimoniale en Italie et en France, afin de consulter des partitions, de mener des entretiens et de consulter divers fonds d’archives, notamment de compositeurs à Rome (Armando Trovajoli, Riz Ortolani, Carlo Rustichelli, Carlo Savina) ou à Madrid (Fernando Velazquez, Alejandro Amenabar, Carles Cases). Le groupe de recherche participera enfin, sous la forme d’une session study, au colloque annuel new yorkais Music and the Moving Image.

 

Composition de l’équipe

  • Cécile Carayol (Université de Rouen Normandie, CÉRÉdI) – Porteuse du projet
  • Martin Barnier (Université Lumière Lyon 2, Passages XX-XXI) – Co-porteur du projet
  • Laurent Guido (Université Sorbonne-Nouvelle, IRCAV) – Co-porteur du projet
  • Jérôme Rossi (Université Lyon 2, Passages XX-XXI) – Co-porteur du projet

Membres associés

  • Chloé Huvet (Université d’Évry Paris-Saclay)
  • Janet K. (Steve) Halfyard (Royal Conservatoire of Scotland).

 

Informations complémentaires

Durée du projet : 36 mois (janvier 2024-janvier 2027)

Date de fin : janvier 2027