Lettres filmées d’Algérie (1954-1962) : des soldats à la caméra
Entre 1955 et 1962, des soldats du contingent se sont transformés en cinéastes amateurs, ils ont pris leur caméra comme d’autres leur appareil photographique. Non pas dans le but d’organiser une projection avec leurs camarades, mais pour envoyer à leur famille, leur donner des nouvelles de leur vie de militaire et les rassurer.
Ces très jeunes soldats offrent le contre-champ de la guerre, eux qui sont partis pour l’Algérie afin de « maintenir l’ordre », puis de pacifier et qui, en même temps, découvrent une terre inconnue.
En confrontant tous ces fragments de vie, il se dégage une réalité commune, une « contre-histoire » d’anonymes qui témoignent d’autre chose que des événements. Comment chacun prend place dans la guerre d’Algérie et comment la petite histoire fait effraction dans la grande. Car malgré leur présence au cœur des combats, les soldats-cinéastes ne nous disent rien de l’acte de guerre.
L’auteur a rencontrés 38 de ces soldats-cinéastes, et les a mis face à leurs propres images (au total 72 films). Par ce dispositif, il met en regard, au présent, mémoire des soldats et mémoire des images afin de restituer une expérience de leur guerre. À travers ce contexte « hors champ », ces voix en disent long sur le poids du social et du politique qui a entouré le vécu des cinéastes : autocensure, masque social, omniprésence du danger dans ce contexte de guerre, refoulement…
Jean-Pierre BERTIN-MAGHIT
2015