Utopies cinématographiques

START:
1 novembre 2023
DURATION:
en cours

INSTRUCTORS:

Layerle Sébastien
MCF Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire
Maury Corinne
MCF HDR Université Toulouse-Jean Jaurès - associée à titre secondaire

Si l’utopie est souvent assimilée à une fuite vers un nulle-part et définie comme une évasion vers un idéal chimérique sans point d’ancrage, elle dépasse pour autant – dans le champ artistique et plus particulièrement dans la création cinématographique – cette vision réductrice qui la limite à n’être qu’un idéal fantasmagorique. Le groupe de recherche Utopies cinématographiques a pour ambition de revenir sur les forces critiques et les dynamiques tant créatrices qu’émancipatrices de l’utopie au cinéma. L’idée d’utopie travaille le geste de cinéma, inquiète les rapports au monde et refuse de l’enfermer dans un avenir sans devenir. En retour, le cinéma façonne et élabore une pensée plurielle et multiforme de l’utopie. Sans vouloir établir une typologie des utopies cinématographiques, ce séminaire de recherche entend questionner « les puissances de défi de l’utopie » (Pierre Macherey) que propose le cinéma et par là-même montrer comment une « persistance de l’utopie » (Miguel Abensour) traverse l’histoire du cinéma, ses genres, ses techniques, ses dispositifs. Il s’agira également d’explorer l’utopie comme un outil critique et politique qui n’a eu de cesse d’être utilisé par un cinéma subversif, faisant ainsi entendre les voix insoumises de celles et ceux que l’on a trop souvent voulu faire taire.

Le groupe de recherche Utopies Cinématographiques (Sylvain Dreyer, David Faroult, Sébastien Layerle, Corinne Maury), créé en été 2023, déploiera ses activités dans un séminaire distribué en journées d’études semestrielles suivant quatre axes : 1°) Utopies de l’art du cinéma ; 2°) Des territoires utopiques aux paysages écotopiques ; 3°) Mettre en images les pensées et les pratiques utopiques ; 4°) Le collectif militant hier et aujourd’hui.

 

Axe 1 / Utopies de l’art du cinéma
Si le cinématographe est d’abord une machine : une technique qui connaîtra sans cesse de nouveaux développements depuis sa mise au point en 1895 ; s’il se développe bien vite, grâce au succès public que lui permet la projection collective (par opposition au kinétoscope d’Edison utilisable par un seul client à la fois) et devient une industrie ; il ne tarde donc pas à devenir aussi un moyen de communication de masse, un média. Mais c’est plus tard qu’il s’affirme comme art, de façon indiscutable et simultanée sur plusieurs continents à partir de 1915, d’après Henri Langlois. Non que des ambitions artistiques n’aient éclos plus tôt (Méliès, le film d’art, etc.), mais elles utilisaient les moyens techniques du cinéma au service d’autres arts, sans l’envisager encore comme un art lui-même. Quelques artistes du cinéma, au fil de son histoire,
l’ont regardé comme n’ayant pas encore déployé ses potentialités, l’ont imaginé plus ambitieux, plus puissant qu’il ne l’a été. Quelles utopies, conçues au minimum comme autant d’horizons régulateurs, ont-ils envisagé pour élargir les possibilités et les puissances de cet art ? Quelles ambitions avaient-ils pour lui ? Quels chemins sont encore à creuser et ouvrir, alors même que l’élargissement des possibilités techniques par le numérique semble faciliter des innovations ?

 

Axe 2 / Des territoires utopiques aux paysages écotopiques
Pour certains cinéastes tels qu’Alain Tanner ou encore Alain Guiraudie, le mot utopie participe de plain-pied d’une relation à l’espace et s’énonce à partir d’un territoire, d’un paysage, d’un lieu. Arpenter et interpeller sont alors de véritables gestus d’explorations territoriales et de consciences critiques. Dans leurs films La Salamandre (1971) et Du soleil pour les gueux (2001), pour ne citer qu’eux, l’utopie ne relève ni d’un imaginaire ni même d’une rêverie isolée, mais se montre tel un combat pacifiste et frondeur qui invite à une critique vive des rapports d’exploitation et de domination. Les voix des personnages insoumis s’expriment non comme des échappées bavardes, mais bien comme des élans indignés qui engagent à penser les conditions matérielles de l’existence. Ainsi, elles interrogent l’utopie comme une « visée de l’altérité sociale » (Miguel Abensour). D’autres cinéastes, à l’instar de Ben Rivers, font cheminer ensemble écologie et utopie, montrant à partir d’expériences de vie sautonomes et marginales d’autres manières d’habiter la terre. Ces formes d’écotopies – loin desmodèles sociaux asymétriques et hiérarchiques où l’utopie est souvent pensée comme une réalisation chimérique – pratiquent l’expérience d’un engagement poétique et politique où il devient possible d’écrire une autre histoire avec les territoires, les paysages.

 

Axe 3 / Mettre en images les pensées et les pratiques utopiques
Nous souhaitons interroger la possibilité de filmer les textes des penseurs de l’utopie et les pratiques inspirées par leurs pensées. Plusieurs films documentaires, même si la fiction n’est pas à exclure, s’attachent à exposer les pensées et les pratiques de l’utopie. On peut distinguer les films rétrospectifs retraçant le parcours intellectuel des penseurs utopistes du XIXe siècle qui ont jeté les bases du socialisme utopique (Charles Fourier, Étienne Cabet, Auguste Blanqui, Flora Tristan…), de l’anarchisme (Proudhon et Bakounine, mais aussi Thoreau, Emerson, Whitman…), du communisme libertaire (Kropotkine, Reclus…) ou du communisme (Marx, Engels et les penseurs marxistes), et les films plus contemporains qui entendent réactualiser ces pensées ou s’attachent à des penseurs qui proposent de nouveaux modèles utopiques. On peut envisager également les films retraçant les expériences utopiques historiques ou récentes. Ces
films posent tous une question centrale : comment filmer la théorie utopique et sa mise en œuvre ? C’est-à-dire comment le cinéma peut-il donner à penser l’utopie ? Comment peut-il retracer par les images, les sons et les mots une pensée théorique et pratique ? Voire la continuer dans le présent ?

 

Axe 4 / Le collectif militant hier et aujourd’hui
La notion de collectif, en tant que composante essentielle du cinéma militant des années 1970, a été au centre de plusieurs études de référence – on songe, par exemple, à l’ouvrage de Catherine Roudé, Le cinéma militant à l’heure des collectifs, consacré à la coopérative Slon. On pourra se demander ici comment cette notion se trouve réactivée aujourd’hui, au travers de nouveaux terrains de lutte et d’espaces médiatiques alternatifs, associant cinéastes, militants et
citoyens, de façon anonyme et non hiérarchique. Quelles reconfigurations les pratiques collectives présentent-elles dans la période contemporaine ? Selon quelles orientations et quelles modalités ? À quelles « formes d’agencement du commun dans les processus de production et de création » (Mélisande Leventopoulos, Katalin Pór, Caroline Renouard)
donnent-elles lieu ? À l’image des luttes territoriales telles que la Zad de Notre-Dame-des- Landes ou le mouvement des Soulèvements de la terre, assiste-t-on à l’émergence possible de nouvelles « formes-Commune », comme l’écrit l’essayiste américaine Kristin Ross, cherchant à défaire les rapports de personnalisation et de domination ?