Speakers
Castro Teresa
MCF Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaireStart
22 novembre 2016
End
23 novembre 2016
Au début du XXe siècle, critiques et cinéastes s’émerveillent devant des films scientifiques qui dévoilent à l’écran la vie imperceptible des plantes. Grâce aux ressources expressives propres au cinéma, comme l’accéléré ou le gros plan, des pousses transpercent le sol en quelques secondes, des tiges se hissent fiévreusement vers la lumière et des fleurs éclosent en un clin d’œil. Le liseron danse, le passiflore s’agite et la médéole tournoie : autrement dit, le végétal s’anime. Que ce soit en France ou en Allemagne, le spectacle formidable des herbiers cinématographiques surgit alors comme une révélation, confirmant, au passage, la portée heuristique des images filmiques. Mais au-delà de l’élargissement sans précédent du domaine du visible, le génie du cinéma est aussi de bouleverser les frontières du vivant. C’est ce qui fascine Colette et Germaine Dulac, Rudolf Arnheim ou Hans Richter – en Union Soviétique, même Serguei Eisenstein caresse, en 1929, l’idée de réaliser un film d’animation sur le mouvement expressif des plantes. Décrit alors par plusieurs auteurs comme un médium animiste renouant avec des formes de pensée dites « primitives », le cinéma réveille l’inerte pour nous faire participer à des rythmes de vie non-humains (c’est la proposition du biologiste Jakob von Uexküll) ou alors générer spontanément des formes de vie (Jean Epstein). Ces dernières, découlant d’une manipulation habile du temps et du mouvement, concernent autant les êtres et les choses du monde que la métamorphose des formes.
Si les films scientifiques sur les plantes – de Le Miracle des fleurs (Max Reichmann, 1925) à La Croissance des végétaux (Jean Comandon, 1929) – fascinent les avant-gardes européennes, laissant une empreinte importante dans la théorie cinématographique, l’impact des études scientifiques sur les métamorphoses et la morphologie des plantes dans le domaine esthétique remonte au XIXe siècle. Le lien entre formes de vie et formes artistiques constitue ainsi l’axe des recherches menées par le biologiste et philosophe allemand Ernst Haeckel. En s’appuyant sur les travaux de Goethe sur la métamorphose des plantes et la théorie évolutionniste de Darwin, Haeckel élabore une esthétique originale de la nature et envisage les formes génératives et transformatives de la vie biologique sous l’angle artistique et ornemental. Ses travaux nourrissent les débats d’artistes et d’historiens de l’art et les planches dessinées de ses atlas d’images (comme le célèbre Formes artistiques de la nature, 1904) constituent, avec les études photographiques sur la flore qui se multiplient alors, un élément important de la culture visuelle de cette époque. D’ailleurs, et même si les botanistes resteront longtemps fidèles au dessin au crayon et au pinceau affectionné par Haeckel, le médium photographique se passionne dès très tôt pour les formes végétales, comme l’illustrent les cyanotypes d’algues (1843) et de fougères (1853) d’Anna Atkins ainsi que les travaux d’autres (femmes) photographes. Pour ce qui est des célèbres macrophotographies de plantes réalisées par Karl Blossfeldt dans Les Formes originelles de l’art (1928), elles s’inspirent directement du travail de Haeckel.
En partant de la discussion fondatrice autour des « herbiers cinématographiques » des années 1920 et 1930 et de la dimension animiste du cinéma, l’objectif de ce colloque est à la fois d’enquêter sur les puissances du végétal dans le domaine du cinéma et des études visuelles et d’interroger les définitions du vivant et les complexités concernant sa théorisation. Dans le cadre de la réflexion contemporaine qui se déploie autour de la vie et du vivant, dans les sciences de la nature comme en anthropologie et en philosophie, il sera en particulier intéressant de s’interroger sur la diversité des processus vitaux – morphogenèse, reproduction, photosynthèse, pour ne prendre que quelques exemples – que les végétaux donnent à voir. Pendant longtemps, l’absence de mouvement (relative d’ailleurs) a conduit à considérer les végétaux comme des êtres vivants inférieurs par rapport aux animaux. En réalité, il se révèle plus fécond de repenser le mouvement dans une perspective élargie, notamment pour porter le regard sur la complexité de l’auto-organisation des organismes et des populations dont fait preuve le monde végétal. Ces deux journées de débats proposent ainsi de faire circuler la parole entre ces différents domaines : études cinématographiques et visuelles, esthétique et philosophie, anthropologie de la vie et du vivant.
>>> Voir le programme du colloque
Organisation : Teresa Castro, Perig Pitrou, Marie Rebecchi