Le cinéma éclaté et le levain des médias

Journée d'étude organisée le 22 mars 2012 à l'Institut national d'histoire de l'art

Speakers

Kitsopanidou Kira
PR Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire
Soulez Guillaume
PR Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire
Boni Marta
PR Université de Montréal - associée à titre secondaire
Blanchet Alexis
MCF Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire
Bougerol Dominique
MCF Université Sorbonne Nouvelle - membre titulaire

Start

22 mars 2012

End

22 mars 2012

Un double phénomène semble caractériser le cinéma aujourd’hui, sous la pression de la convergence numérique et du bouleversement de l’accès aux films via l’Internet (sites de l’industrie des programmes, des producteurs et diffuseurs, réseaux sociaux, sites communautaires, etc.).

Premièrement, ce qu’on appelle « cinéma » est désormais largement dissocié de la salle de cinéma (et des émissions ou fenêtres pour le cinéma à la télévision). Si les films de cinéma connaissent aujourd’hui une surexposition, leur consommation se fait de plus en plus à partir d’autres lieux, d’autres espaces de réception et sur un nombre très diversifié de supports (du DVD au streaming en passant par la VOD, les smartphones et les tablettes). Ces supports contribuent à l’élargissement des espaces de rentabilisation pour le film, mais ils tendent à affaiblir la frontière entre œuvres et biens informationnels, ceux-ci ayant moins de valeur en eux-mêmes que les offres plus larges dans lesquelles ils se trouvent incorporés. De nombreux travaux récents explorent l’impact de la convergence numérique et de la diffusion délinéarisée en ligne sur les modèles organisationnels et d’affaire des industries de contenus (émergence de nouveaux modèles de co-création/co-production, exploration de modèles alternatifs de mise à disposition, apparition de nouvelles formes d’intermédiation et de prescription,etc.), soulignant le déplacement de la valeur des logiques de création, de production et d’édition aux logiques d’élaboration et d’organisation d’une masse croissante de métadonnées permettant aux consommateurs de naviguer au sein d’une offre pléthorique de contenus devenus en partie substituables.

Deuxièmement, la banalisation du matériel de captation (des caméras DV semi-professionnelles aux appareils photos numériques ou téléphones mobiles équipés d’une caméra) et les outils qu’Internet met à disposition des utilisateurs conduisent à brouiller les frontières entre professionnel et amateur, auteur et spectateur, consommateur et producteur. Dans ce contexte, les frontières du « cinéma » apparaissent de plus en plus poreuses, les long métrages de fiction produits et réalisés par des professionnels pour un public de masse semblent noyés au cœur d’un foisonnement de nouveaux objets audiovisuels dans le voisinage du cinéma (films dans les musées, hybrides entre films et jeux vidéo, webfilms, webdocs, webséries, productions amateurs diffusées sur Youtube ou ailleurs, fanfics…).

Comme le montrent la mise en place du cinéma des premiers temps ou les redéfinitions du cinéma lors de l’apparition du parlant puis de la télévision, ce phénomène d’éclatement, qui touche tant les enjeux de la diffusion que ceux de la définition créative, n’est pas chose nouvelle dans l’histoire déjà séculaire du cinéma. Si l’on considère alors le « cinéma » ou la « télévision » comme la rencontre entre un dispositif technico-formel (un « médium ») et une organisation économique et sociale (un « média »), les travaux sur l’intermédialité permettent d’avoir aujourd’hui du recul par rapport à ce « choc Internet » mais ils sont souvent aimantés par l’idée que la concurrence entre médias a (eu) pour effet de favoriser la recherche d’une spécificité formelle et matérielle, leur « médiagénie ». Cette journée voudrait explorer l’hypothèse inverse, peut-être davantage ajustée aux transformations induites ou accentuées par l’Internet et les supports mobiles : les médias (le « cinéma », la « télévision »…) ne survivent-ils pas au-delà de leurs médiums et dispositifs « historiques » (la salle, le téléviseur, etc.) ? Le sentiment que le cinéma est « éclaté » par l’Internet ne serait-il pas en partie une illusion ? Pourquoi, alors que les logiques de diffusion dématérialisée des contenus audiovisuels pourraient tendre à les rendre interchangeables, continuons-nous à parler de « cinéma », ou de « télévision » lorsque nous regardons sur internet des objets détachés de la salle ou de la grille de programmes ?

Dans le cadre de la nouvelle économie de l’audiovisuel à l’ère d’Internet, on peut donc sans doute explorer davantage les interactions entre la raison sociale des médias et la forme des objets qu’ils proposent. Comme le montre le rôle des grands genres hollywoodiens ou des formats télévisuels, les médiums ne sont-ils pas toujours saisis à travers des médias, les médias ne lèvent-ils pas la pâte des médiums ? En ce sens, les « médias » n’assurent-ils pas une fonction de maintien des règles de lecture, voire de fabrication, dans un paysage marqué par la « mise en réseau, [la] dissociation des contenus et des contenants [et la] déconstruction des clivages traditionnels entre production et consommation », pour reprendre les termes employés par la présentation du Laboratoire d’excellence ICCA ? En quoi les pratiques professionnelles et les nouveaux usages attestent-ils du travail des acteurs de la création et des publics sur la dimension proprement « média » du cinéma pour le maintenir comme tel, ou le faire évoluer ?

À l’instar de la journée de novembre 2011 (« Ce que le documentaire fait au format »), cette journée pluridisciplinaire (économie, sémiologie, esthétique, histoire des médias…) se veut un lieu de rencontre entre professionnels et chercheurs pour un état des lieux et des échanges approfondis.

>>> Voir le programme de la journée d’étude

Organisation : Kira Kitsopanidou et Guillaume Soulez